Quand les gilets jaunes manifestent... à vélo !

À Saint-Brieuc, en Bretagne, ce sont des gilets jaunes originaux qui ont manifesté samedi 17 novembre : à vélo, et pour demander la promotion de ce moyen de transport plutôt que la baisse des prix de l’essence !

  • Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), reportage

« Essence trop chère ? Changez de pompe ! » Le slogan, en noir sur jaune et accompagné d’un logo invitant à passer de la pompe à essence à la pompe à vélo, occupe tout un côté de la caisse du vélo cargo de Clément Janot, membre de l’association Vélo utile, à Saint-Brieuc. Il est 14 h 30 ce samedi 17 novembre. À l’heure où la voie express autour de la petite ville bretonne est bloquée par le mouvement des « gilets jaunes », plus de 200 cyclistes se sont rejoints sur le parvis sud de la gare, en réponse à l’appel de l’association. Ils ne sont pas là pour réclamer plus de pouvoir d’achat, mais pour exiger le développement des alternatives. « Nous manifestons aujourd’hui pour faire entendre une autre voix, annonce Clément. Nous souhaitons que les citoyens repensent leur façon de se déplacer, en privilégiant autant que possible l’usage du vélo, mais aussi que les élus prennent leur responsabilité en mettant en place les moyens nécessaires afin que ces changements opèrent. » Avec Priscilla, son épouse, ils se font cet après-midi les porte-paroles de l’association. « Dès qu’on a pris connaissance du mouvement des “gilets jaunes”, on s’est dit qu’il fallait bouger, faire quelque chose, dit la jeune femme. Le gilet jaune, c’est un accessoire principalement utile aux cyclistes, pour être visibles et se protéger des voitures ! »

Rassemblement sur le parvis sud de la gare.

Malgré le froid, intensifié par l’humidité de l’épais brouillard, les bénévoles de Vélo utile sont à l’œuvre. Casque sur la tête et gilet jaune sur le dos, ils distribuent leurs tracts aux cyclistes, ainsi qu’aux quelques rares passants. Sur le papier, le message est clair : « Le modèle actuel du tout automobile est une absurdité. En milieu urbain et péri-urbain, le vélo se présente comme une alternative crédible avec de très nombreux avantages : rapide sur de courtes distances, fiable, bon pour la santé, le moral et le cadre de vie, non polluant, économique pour les individus et la collectivité. » L’association rappelle aussi que « 50 % des déplacements automobiles font moins de 5 kilomètres ». Mais il ne s’agit pas pour autant d’une contre-manifestation : « Nous ne sommes pas ici en opposition au mouvement des “gilets jaunes”, argumente Priscilla. Il s’agit d’inviter à penser différemment la question de la taxe. »

Sur son VTT gris, Régis arrive de la rocade, où il a fait part aux « gilets jaunes » de la manifestation cycliste. « Dans l’ensemble, les gens comprennent le message, mais ils sont pris dans leurs problèmes de court terme », rapporte ce membre de l’association Agir pour le climat 22, qui est partenaire de Vélo utile pour l’événement d’aujourd’hui. « Nous demandons aux collectivités de mettre en place des aménagements pour les vélos mais également d’instaurer une prise en compte du bilan carbone pour tous les achats publics », réclame-t-il. Pour réduire ses déplacements, il a opté pour le télétravail. « Je suis ingénieur dans le domaine de l’énergie, j’habite en zone rurale et j’ai eu cette possibilité. Je pense que, pour ceux qui le peuvent, cela peut faire partie des solutions ».

Régis, membre d’Agir pour le climat 22, est allé à la rencontre des « gilets jaunes ».

De l’individu ou du collectif, à qui la responsabilité ? À demi-assis chacun sur son vélo, au milieu de la foule, Thierry et Marc, deux quinquas, débattent. « C’est dommage qu’il faille en venir à taxer pour faire réagir », se désole Marc. « Après, il faut aussi pouvoir donner la possibilité aux gens de se déplacer plus proprement. Que ce soit des pistes cyclables mais aussi des transports en commun », avance Thierry. « Oui, concède son camarade, mais il faut avant tout un profond changement des comportements. On n’est pas obligé de passer ses week-ends dans la voiture pour aller faire du shopping ! » L’un comme l’autre se rendent à vélo au travail. Un choix de vie : « Nous avons fait le choix d’habiter à proximité de notre lieu de travail pour cette raison. »

Thierry et Marc ont choisi d’habiter à proximité de leur lieu de travail.

Après un discours de Clément vivement applaudi, le cortège démarre pour un petit circuit de 2,5 kilomètres, mené par Noël, trésorier de l’association, retraité féru de cyclotourisme : son compteur affiche 9.000 km à l’année. Tous vêtus de leur gilet de sécurité, les cyclistes paraissent, de loin, ne plus former qu’une immense masse jaune unie, s’étirant plus ou moins en serpentant dans les rues. Pas de chant ni de slogan durant la traversée du centre-ville : c’est par le tintement des sonnettes que les cyclistes se font entendre. Si les jeunes parents et leurs enfants sont plus fortement représentés, des cyclistes de tous âges remplissent les rangs. Clémence, élève de 5e, est venue soutenir la cause : « Je vais tous les jours à l’école à vélo depuis que je suis en CE2,dit-elle. Pour moi, c’est quelque chose de normal ». Pour cela, la jeune fille doit par endroits passer sur la route. La circulation y est parfois dangereuse, selon les manifestants. Delphine, usagère quotidienne de la petite-reine, dénonce : « On a besoin de meilleures infrastructures dédiées aux vélos. On doit jongler entre la piste cyclable, la route et les trottoirs. Pour les jeunes enfants c’est très dangereux. »

Clémence se rend tout les jours au collège à vélo.

Pauline, une amie de Delphine, vit à la campagne, dans un petit village près de Vannes. Elle connaît bien la problématique du déplacement en milieu rural. « Taxer ne va pas résoudre le problème, pense-t-elle. Il faut vraiment une prise de conscience. Pour nous, à la campagne, avoir une voiture est nécessaire mais, dans beaucoup de cas, le vélo est suffisant. Il s’agit aussi de faire le choix de prendre le temps de vivre. » Une philosophie partagée par Alexis, possesseur d’un vélo cargo : « Je suis venu pour montrer qu’il existe des alternatives. J’ai acheté ce vélo cargo en 2014, pour mes déplacements urbains, pour transporter les enfants et les courses, entre autres. Grâce à l’assistance électrique, les nombreuses côtes de Saint-Brieuc ne sont pas un problème. » Chez le couple Janot, le vélo cargo a remplacé la seconde voiture. « Cela fait faire beaucoup d’économies, note Clément. Pas d’assurance, pas d’essence et des frais d’entretien dérisoires ».

La famille Janot.

L’après-midi se termine vers 17 heures, sur une grande place du centre-ville, après une longue pause devant la mairie, ponctuée de quelques prises de paroles. L’ambiance est détendue, les manifestants bavardent entre eux mais le manque de passants a limité les échanges extérieurs. « Des échanges, on en a beaucoup eu sur les réseaux sociaux en cette fin de semaine, souligne Clément. Après nous être pris un déluge d’insultes jeudi, au lendemain de notre appel, nous avons beaucoup dialogué, expliqué notre vision des choses . » Face aux accusations de « bobos ne comprenant rien aux problèmes des gens », Priscilla tient à rappeler que « Saint-Brieuc est la ville la plus pauvre de Bretagne ». L’immense masse jaune embellit quelques minutes encore la place centrale. Puis, les cyclistes s’éparpillent et disparaissent dans le brouillard, réduisant peu à peu ce qui fut comme l’unique soleil de la journée. Les bénévoles de Vélo utile restent un peu échanger et se réjouir du succès de la manifestation. « Ça change des rassemblements habituels où nous ne sommes qu’une quinzaine, apprécie le jeune militant. Nous espérons maintenant que nos élus locaux ont entendu le message et qu’une vrai politique de transition sera mise en place. »

Puisque vous êtes ici…… nous avons une petite faveur à vous demander. Dans une période où les questions environnementales sont sous-représentées dans les médias malgré leur importance,Reporterre contribue à faire émerger ces sujets auprès du grand public. Le journal, sans propriétaires ni actionnaires, est géré par une association à but non lucratif. Nous sommes ainsi totalement indépendants. Personne ne dicte notre opinion. Cela nous permet de couvrir des évènements et thèmes délaissés par les autres médias, de donner une voix à ceux qui ne sont pas audibles, et de questionner les puissants en les mettant face à leurs responsabilités.

Il n’y a jamais eu autant de monde à lire Reporterre, mais nos revenus ne sont pourtant pas assurés. Contrairement à une majorité de médias, nous n’affichons aucune publicité, et laissons tous nos articles en libre accès. Vous comprenez sans doute pourquoi nous avons besoin de demander votre aide. Reporterre emploie une équipe de journalistes professionnels, qui produit quotidiennement des informations, enquêtes et reportages. Nous le faisons car nous pensons que notre vision, celle de la préservation de l’environnement comme sujet majeur de société, compte — car cette vision est peut-être aussi la vôtre.